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Oui à la modification des codes pénaux civil et militaire

Les Chambres fédérales ont modifié ces deux codes pénaux en étendant les sanctions contre les discriminations et l’incitation à la haine à celles qui sont motivées par l’orientation sexuelle. Un référendum a été lancé contre cette «loi de censure», soutenu par l’UDF et les jeunes UDC. Ses promoteurs estiment qu’il y a suffisamment de moyens juridiques de se défendre contre de tels agissements.

Nous n’en sommes pas si sûrs ! Les faits sont têtus. Bien que l’acceptation des orientations sexuelles minoritaires ait fait d’énormes progrès au sein de la population, des institutions et même des Eglises, les victimes d’actes et de paroles haineux restent nombreuses.

Il est donc nécessaire d’étendre les garde-fous légaux pour mieux les protéger. La liberté de pensée ne peut être restreinte, par contre la liberté d’expression et d’action doit être délimitée. Cette «censure» ne frappera que ceux qui outrepassent les limites de la tolérance.

Nous vous encourageons à soutenir cette extension des codes pénaux civil et militaire.

J.-F. Martin, secrétaire des CGR

(paru dans l’Espoir du Monde, n° 176 – décembre 2019)

Un geste pour la planète: l’initiative «Multinationales responsables»

C’est devenu un leitmotiv et même un argument publicitaire: il faut que chacun fasse son «geste pour la planète». Acheter une voiture hybride, utiliser des pailles et de la vaisselle de pique-nique réutilisables, faire le ménage avec des produits bios, choisir une variante verte dans l’offre de son fournisseur d’électricité, poser des panneaux solaires sur son toit, privilégier les transports publics, … C’est bien, c’est méritoire et cela contribue très certainement à retarder la catastrophe écologique qui nous menace. On peut faire un pas de plus en favorisant les partis et les candidats qui ne se contentent pas de belles phrases.

Mais cela ne suffit pas ! Les malheurs de la planète sont aussi globalisés que son fonctionnement économique. Or il n’est pas (ou plus) entre les mains des pouvoirs politiques, encore moins entre celles des citoyens. Ce sont les entreprises qui détiennent les leviers, et particulièrement les multinationales. Elles gèrent l’exploitation des matières premières, la production industrielle, les transports et la commercialisation des marchandises. Les lois du marché, qui leur servent à la fois d’idélogie et de justification, les conduisent à chercher les prix les plus bas avec les profits les plus élevés, et non les nuisances les plus faibles avec la plus équitable répartition des richesses.

Les conséquences sont catastrophiques, écologiquement et socialement. C’est devenu si évident qu’une partie importante de l’opinion publique s’en émeut et se montre de plus en plus capable d’adopter un comportement «vert» dans sa vie quotidienne. Malheureusement, les pratiques des entreprises qui dominent l’économie mondiale rendent dérisoires nos efforts quotidiens.

L’initiative «Multinationales responsables» navigue actuellement entre les deux Chambres fédérales où les partis de droite, malgré leur récente conversion à l’écologie, font tout pour la retarder et atténuer sa portée. Elle demande que toutes les multinationales ayant un siège en Suisse respectent les Droits humains et les standards environnementaux, également à l’étranger. On nous rabâche les risques pour notre économie (expatriation des entreprises et de leurs cadres, dure concurrence étangère). Nous pensons au contraire que les dégâts pour l’humanité et pour la Suisse imposent des mesures rapides et à grande échelle.

N’attendons pas que «les autres» fassent le premier pas et soutenons activement, d’ores et déjà, cette initiative qui constitue un vrai geste politique pour la planète, qui motiverait et encouragerait ceux que nous pouvons faire à notre niveau individuel.

Jean-François Martin, secrétaire des CGR

(paru dans l’Espoir du Monde, n° 175, octobre 2019)

Journée des CGR du 26 janvier 2019 à Prilly

Numérisation: il est temps de paniquer !

La jeune Suédoise Greta Thunberg nous dit qu’il est temps de paniquer face à l’urgence écologique. C’est aussi ce que nous pouvons conclure, à la suite de notre journée du 26 janvier, face aux défis posés par la numérisation croissante des activités humaines.

Les exposés du matin, de MM. Dufour, Michel et Luccarini, ont posé les bases de la problématique (voir les résumés dans ce numéro). La discussion de l’après-midi a fait ressortir combien les bénéfices, indéniables, des progrès technologiques, sont contrebalancés par les risques énormes qu’ils nous font courir.

Il y a urgence ! Car nous sommes de plus en plus prisonniers d’un système marchand (avec les pires défauts du capitalisme), qui nous fait perdre peu à peu le contrôle de l’intelligence humaine, de l’information, de la démocratie, de notre vie privée, de nos déplacements, du fonctionnement des outils de base de la vie de tous les jours, … L’être humain du XXIe siècle croit tout savoir, grâce à internet, mais il perd son innocence, son humanité. Le travailleur est devenu trop coûteux par rapport au robot. Il se «machinise» plus vite que les machines s’humanisent, déclarait M. Luccarini. La confiance dans les données fournies par les ordinateurs restreint l’esprit critique et peut engendrer la paresse intellectuelle.

Il apparaît que le risque pour le fonctionnement démocratique est sérieux: les infrastructures (transports, électricité, eau, air), l’éducation, la santé, le logement, la sécurité (on peut compléter la liste) doivent rester sous contrôle public. Or la dépendance aux données informatiques contrôlées par les fournisseurs de matériel et les réseaux privés d’information fait craindre que ce ne soit plus vraiment le cas. On parle même de confier à des privés l’organisation des votes et élections ! On veut nous faire croire qu’internet est gratuit et l’on sait que les grands opérateurs gagnent des milliards…

M. Michel posait cette double question: savons-nous où nous allons ? Et surtout, voulons-nous y aller ? On pourrait presque espérer qu’une gigantesque panne (ou une attaque) informatique engendre suffisamment de problèmes pour provoquer enfin une réaction décisive.

La question se pose à notre niveau: que pouvons-nous faire individuellement ? D’abord rester conscients des risques qui nous font foncer dans le mur, et freiner le mouvement dans nos activités quotidiennes: privilégier les interractions humaines plutôt que les machines, sortir autant que possible du monde virtuel et vivre «dans la vraie vie», voire même expérimenter le retour en arrière.

M. Dufour concluait en se disant persuadé qu’il y aura inéluctablement une ère post-numérique; mais que sera-t-elle ? et quand ?

J.-F. Martin, secrétaire des CGR

 (paru dans l’Espoir du Monde, n° 173 – avril 2019)

Votations fédérales du 25 novembre 2018

Initiative pour l’autodétermination (contre les juges étrangers)

La Suisse n’est pas seule au monde !

L’UDC veut défendre la démocratie directe et le droit à l’autodétermination du peuple suisse. On sait qu’elle fait une fixation maladive sur les étrangers, responsables immuables de tous les maux et cibles faciles de tous les nationalistes. Cette fois, ce sont les juges étrangers qui sont visés, comme le dit clairement le libellé de l’initiative, même si la propagande des initiants à tendance à gommer cette partie du titre et évite autant que possible la référence à l’UDC.

La défense de notre indépendance et la volonté de donner la priorité à la Constitution fédérale et aux décisions du peuple ont évidemment de quoi titiller notre fibre patriotique, qui est réelle n’en déplaise à certains. Mais entre le patriotisme, qui est amour d’une terre, de ses habitants et de ses institutions, et le nationalisme, qui est une prétention à placer un peuple au-dessus et en dehors du concert des nations et qui conduit souvent à la guerre, il y a un pas que nous ne franchissons pas. L’histoire nous laisse trop d’exemples des catastrophes induites par les nationalismes. L’acceptation de l’initiative donnerait raison à Mme Le Pen, à M. Salvi, à M. Orban, à M. Trump, à M. Erdogan et à M. Poutine. Qui peut croire qu’ils nous préparent un monde meilleur ?

La Suisse a d’ailleurs largement profité de traités internationaux qui, reconnaissant par exemple notre indépendance et notre neutralité, nous ont protégés depuis plusieurs siècles. La Croix Rouge, dont nous sommes si fiers, tente d’imposer des règles supra-nationales. L’Union européenne, dont nous sommes absents, et le Conseil de l’Europe, dont nous sommes membres, sont certainement bien imparfaits, mais ont quelques mérites, notamment celui de garantir la paix entre les nations. C’est un progrès indéniable et il serait catastrophique de revenir en arrière. Il faut plutôt lutter pour améliorer la démocratie et la justice, ici et ailleurs dans le monde. Nous souhaitons que notre pays fasse rayonner son bonheur plutôt qu’il s’isole politiquement.

Les initiants admettent une exception pour «le droit international impératif qui interdit, par exemple, la torture» et rappellent que les «droits de l’homme sont de toute manière réservés puisqu’ils sont ancrés dans notre constitution» (citations du tous-ménages du comité d’initiative). Cela implique donc qu’il peut y avoir, qu’il faut qu’il y ait, des instances supérieures pour définir ces droits.

Si la Suisse décidait que son droit à l’autodétermination est supérieur aux principes de régulation internationale, cela reviendrait à admettre que tous les peuples peuvent revendiquer ce droit : la Suisse ne devrait donc pas être seule à dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à adapter les obligations du droit international aux dispositions de sa constitution. On voit que l’enjeu dépasse largement le droit des Suisses de renvoyer des criminels étrangers : l’équilibre du monde est précaire, la démocratie est en danger dans de nombreux pays, elle est même à construire dans certains. Ce n’est pas le moment de porter un coup aux institutions supra-nationales.

Ce n’est d’ailleurs pas qu’un problème de principe, moral, philosophique ou politique. Car notre prospérité économique dépend un peu de notre droit à l’autonomie mais encore plus de nos relations avec le reste du monde. Nous voulons que la Suisse soit à la pointe du combat pour une économie mondiale plus équitable, pour une protection mondiale des travailleurs et des consommateurs, pour une protection mondiale du cadre écologique: cela implique, au lieu d’une autonomie renforcée des Etats, des règles internationales négociées et appliquées partout. Donc des instances de contrôle, de recours.

Ainsi, et ce n’est pas négligeable, la Cour européenne des droits de l’homme constitue un recours, assez souvent employé par des citoyens suisses qui s’estiment lésés par une décision administrative ou judiciaire. Cela constitue un rempart contre l’arbitraire, qui reste possible même dans notre beau pays. Cette Cour (où nous avons des représentants) a d’ailleurs largement servi à attester que ces droits sont respectés dans notre pays (98,4% des jugements concernant la Suisse): ces juges étrangers pensent donc comme les nôtres !

Peut-être pas comme les représentants de l’extrême-droite qui n’aiment pas cette CEDH: elle donne des droits aux travailleurs, aux immigrés, aux femmes, aux accusés et prisonniers. Nous soupçonnons que c’est aussi cela qui motive les initiants !

Pour imager notre propos, imaginons une association sportive suisse qui déciderait que ses statuts et décisions priment sur ceux de la fédération internationale et qu’elle peut donc adopter ses propres règles en compétition. Pas trop de problèmes pour les lutteurs à la culotte ou les joueurs de hornuss : il n’y en a guère qu’en Suisse. Mais les autres sportifs seraient très vite hors-jeu au niveau international.

Parce que nous voulons que notre pays conserve sa place dans le concert des nations, parce que nous voulons qu’elle contribue de plus en plus, au niveau mondial, à la paix, à la justice et à la sauvegarde de la Création, nous refusons le repli nationaliste proposé par l’initiative et voterons non le 25 novembre.

J.-F. Martin

Secrétaire des CGR

(paru dans l’Espoir du Monde, n° 171 – novembre 2018)

Les Chrétiens de gauche romands réunis à Yverdon-les-Bains, samedi 27 janvier 2018

Chrétiens de gauche et de droite:

Des valeurs communes mais des priorités différentes

Les Chrétiens de gauche romands réunis à Yverdon-les-Bains, le 27 janvier, ont dû remettre en question certaines de leurs habitudes de pensée: ils avaient invité un théologien de gauche et une politicienne de droite et espéraient mettre en évidence les valeurs chrétiennes qui soutiennent leur propre engagement. Rien n’a ébranlé leur conviction que l’Evangile fonde la recherche de la justice sociale; par contre, les deux orateurs ont insisté sur leur conviction que ce ne sont pas les valeurs qu’ils tirent de l’Evangile qui motivent leurs divergences politiques.

La journée  a été ouverte par une méditation du pasteur loclois Pascal Wurz, qui n’a pas craint de lire la fameuse «parabole des talents» où le meilleur gestionnaire se voit récompensé par son employeur. Jésus ne nous y propose pas un modèle terre à terre de gestion capitaliste, mais il nous rend attentifs à une valeur spirituelle qui dépasse celle de l’argent: celle de la vie, fructueuse, joyeuse, confiante, active.

Théologien spécialisé en éthique, le professeur Denis Müller conteste qu’il y ait des valeurs spécifiquement chrétiennes (si ce n’est peut-être la sainteté) et encore moins des valeurs chrétiennes de gauche différentes des valeurs de droite. Les valeurs de justice et de liberté (souvent considérées comme celles qui distingueraient la gauche et la droite) ne sont pas spécifiquement chrétiennes et ce qui distingue la gauche et la droite c’est la façon de les articuler ou de les prioriser, en fonction de son histoire et de son environnement.

Figure marquante du libéralisme vaudois, membre du synode de l’Eglise évangélique réformée vaudoise, l’ancienne conseillère nationale Suzette Sandoz réfute le cliché selon lequel la droite privilégierait l’égoïsme voué à Mammon. Elle est attachée au commandement de l’amour du prochain, mais rappelle que le prochain fait partie d’une communauté que les politiciens doivent faire fonctionner en équilibrant ordre et liberté, responsabilité individuelle et action sociale. Un équilibre qui sera effectivement différent selon les convictions politiques. Mais ce n’est pas la Bible qui nous dit si telle proposition d’assurance dentaire est vraiment un progrès social et économique.

L’assistance étant composée de chrétiens de gauche, le débat, animé par le pasteur Virgile Rochat, a surtout démontré l’importance qu’ils attachent au critère de justice:

– refus du racisme et du sexisme,

– justice économique et sociale,

– humanisme disparu de certains régimes de gauche ou de l’économie néo-libérale.

Si les valeurs de justice, de solidarité, de liberté, de sécurité ne sont pas spécifiquement chrétiennes, les Chrétiens de gauche ont donc redit la priorité qu’ils donnent à celles qui leur semblent correspondre le mieux, et le plus concrètement, au commandement de l’amour du prochain.

J.-F. Martin

Secrétaire des CGR

 (paru dans l’Espoir du Monde, n° 169 – avril 2018)

Nous avons besoin de partis politiques !

Les partis n’ont plus la cote: on l’a vu très nettement lors des dernières élections françaises, catastrophiques pour les formations traditionnelles. Divisés, affaiblis par les combats des chefs et les «affaires», le Parti socialiste particulièrement, mais aussi ceux de droite et du centre, sont en voie de rejoindre le Parti communiste, les écologistes et l’ancienne extrême-gauche dans le fond des classements. Même le Front national semble marquer une pause dans sa croissance. La tendance est aux «mouvements» comme ceux de MM. Macron et Mélanchon. On avait déjà vu cela en Grèce ou en Espagne.

On peut évidemment se demander si ces mouvements sont vraiment différents des partis et surtout s’ils parviendront à réformer durablement la vie politique et à appliquer les réformes qu’ils proposent. Et s’ils éviteront les écueils des ambitions personnelles et des divisions.

En Suisse, la tendance est moins évidente, mais on entend de plus en plus de citoyens affirmer que le système des partis est dépassé et que l’opposition gauche-droite est obsolète. Le «bon sens» existerait surtout en dehors des partis et les idéologies sont souvent perçues comme causes de sclérose dans un monde en mutation.

Les partis traditionnels français ont récolté ce qu’ils méritaient et les nôtres feraient bien de prendre garde.

La démocratie n’existe pas sans débat d’idées, sans confrontations de projets, sans choix clair proposé aux citoyens. C’est aux partis qu’incombe la responsabilité de présenter les enjeux mais aussi de mettre en avant les personnalités capables de défendre puis d’appliquer les solutions proposées.

Un parti devrait être un lieu de réflexion entre personnes de sensibilité proche, où l’on cherche le moyen d’adapter une idéologie à la réalité économique et sociale, où l’on clarifie les enjeux, où l’on débat des priorités, où l’on forme les militants et notamment ceux qui sont destinés à porter ces idées lors des élections. Si le fonctionnement du parti est réellement démocratique, le risque de centralisme ou d’autoritarisme est inexistant.

Au lieu de cela, on voit des partis (c’est caricatural en France) qui sont devenus de simples machines électorales au service des ambitions personnelles de chefs de courants, qui cherchent prioritairement à arracher des «parts de marché» électorales et des postes. Le système des «primaires» est une illustration de cette dérive. A droite comme au PS, les candidat-e-s doivent éliminer leurs concurrents au sein de la famille; on commence donc le processus électoral en mettant en évidence les divergences, en personnalisant à l’extrême le débat, et sans s’interdire les coups bas. L’heureux élu doit ensuite rassembler les personnes qu’il a combattues autour de son programme, qu’elles ont combattu… Difficile de séduire les militants et les électeurs dans ces conditions. Les Républicains et les Socialistes français n’ont pas compris la leçon et repartent de plus belle dans des luttes intestines, menées encore et toujours par des chefs de clan qui parlent beaucoup en «je» lorsqu’ils font des propositions.

Le système politique de nos voisins favorise cette situation: même à l’échelon local, on élit une liste fermée, constituée autour de la forte personnalité d’un candidat qui aura de très importantes compétences dont il déléguera une partie à des adjoints qu’il a choisis. Le président Hollande a pu faire passer une nouvelle loi sur le travail qui n’était pas à son programme, et qu’il n’a pas discutée avec les militants qui l’ont porté à la candidature et au pouvoir. La démocratie ne peut se satisfaire d’une remise en question tous les cinq ans d’autorités autocratiques.

Le système suisse personnalise nettement moins le pouvoir et, lorsque l’on choisit les candidats, on se demande encore qui sera le meilleur porteur du programme et non qui sera le meilleur rédacteur d’un programme. C’est moins spectaculaire, cela ralentit peut-être les réformes mais cela les rend aussi plus durables. Pour la gauche, l’absence d’alternance, au niveau fédéral surtout, est évidemment frustrante et le très démocratique principe des initiatives et des référendums reste trop souvent un contre-pouvoir théorique. Mais rien ne dit que notre système économique et social serait meilleur avec davantage de politique-spectacle.

Pour sauvegarder la démocratie, il faut donc renforcer le débat politique et nous avons besoin de partis typés, démocratiquement organisés, qui cultivent la discussion en leur sein et à l’extérieur, qui avancent à découvert, qui puissent faire des concessions à leurs alliés, qui donnent des mandats clairs à des élus qui respectent leurs engagements. Les Suisses sont attachés, semble-t-il, à leurs municipalités et gouvernements «multicolores»: cela pose évidemment un problème aux élus de gauche, en général minoritaires, qui sont bien obligés d’y faire des concessions. Cela peut être supportable si les concessions sont réciproques et si les élus de gauche ont véritablement commencé par défendre la position de ceux qui les ont élus.

Nous devons aussi combattre l’illusion de ceux qui estiment que l’opposition gauche-droite n’est plus de mise. La gauche n’a pas peur de confier à l’Etat, protecteur et «redistributeur», de nombreuses tâches que la droite préfère confier à l’initiative privée. La gauche n’a donc pas peur de défendre le maintien, voire parfois la hausse, des impôts alors que la droite cherche à les diminuer. La droite vitupère contre les profiteurs du système social alors que la gauche lutte contre les profiteurs du système fiscal (qui coûtent bien plus cher à la collectivité). A droite, on favorise «l’optimisation fiscale» des plus riches, à gauche on refuse que «l’optimisation sociale» serve de prétexte pour limiter les aides.

On doit pouvoir choisir ses élus en fonction de leur position sur le curseur du rôle de l’Etat. On peut être au centre, cela n’a pas de sens d’être «ni de gauche, ni de droite». On ne peut souhaiter, comme je l’ai entendu plusieurs fois, un système social plutôt de gauche (qui se veut distributeur) avec un système fiscal plutôt de droite (qui prive l’Etat de ressources à redistribuer). Il y a bien sûr d’autres curseurs: l’économie, l’écologie et les transports, la sécurité, l’immigration, l’éducation, … Dans tous ces domaines, la gauche et la droite divergent et le «bon sens» de gauche n’est pas le même que celui de droite. Cela n’interdit cependant pas de chercher continuellement comment les positions dogmatiques peuvent ou doivent évoluer en tenant compte des nouvelles réalités,

Personne n’est obligé de s’intéresser à la politique active et à adhérer à un parti; notre système électoral permet le panachage des listes pour ceux qui n’arrivent pas à faire un choix clair; il est assez facile de fonder un nouveau parti, notamment au niveau local. Mais cela n’a de sens que si les citoyens peuvent identifier les idées, et non seulement les têtes, de ceux qu’ils élisent.

J.-F. Martin

Secrétaire des CGR

(paru dans l’Espoir du Monde, n° 167 – septembre 2017)

Chrétiens de gauche romands, Yverdon-les-Bains ; samedi 28 janvier 2017

Tu aimeras la Création comme toi-même !

La traditionnelle journée d’étude des Chrétiens de gauche romands (CGR) s’est déroulée le samedi 28 janvier à Yverdon-les-Bains. Consacrée à la sauvegarde de la Création, elle a bénéficié des interventions de M. l’abbé Canisius Oberson, aumônier de la Pastorale neuchâteloise du Monde du Travail, de M. Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, et de M. Michel Maxime Egger, responsable du Laboratoire de la transition intérieure à Pain pour le Prochain.

L’intention des organisateurs était d’aborder le problème de l’écologie sous l’angle de la responsabilité individuelle et collective dans une perspective globale, donc au-delà des aspects techniques et des moyens concrets à mettre en oeuvre.

L’abbé Oberson a ouvert la réflexion à partir du «divin pari» du Créateur qui ne nous a pas confié le monde clé en main, mais a fait de l’homme un «créateur à son image». Si les croyants ne peuvent espérer réussir cette mission sans Lui, Dieu a donc choisi de ne pas faire le monde sans nous ! Vu l’impact de ses réalisations, l’homme est bel et bien un co-auteur de la Création. Mais ne se comporte-t-il pas comme un enfant qui massacre le cadeau qu’il a reçu ? Et qui nie sa responsabilité: c’est pas de ma faute, c’est le serpent…

M. Egger a mis en évidence la nécessité de prendre conscience du fait que nous sommes actuellement mis en face des limites de la croyance en une progression continue. Refusant le déni de la réalité de ceux qui pensent que la technologie et le génie humain résoudront les problèmes, refusant aussi tout découragement face à une catastrophe inéluctable, il prône une espérance active, une transition personnelle et collective, spirituelle, philosophique et culturelle, qui vise la transition d’un système destructeur vers un système protecteur de la vie. Une écologie intégrale qui passe d’une vision utilitaire de la nature à la reconnaissance du fait qu’elle est le lieu de la présence de Dieu. Une intelligence intégrale qui ajoute à l’intelligence rationnelle l’intelligence émotionnelle. Cela implique la capacité de s’émerveiller devant la beauté de la nature, de réfléchir sur le long terme de notre impact, sur les limites du tout-économique, sur notre responsabilité envers tous les hommes. Le «militant-méditant» pourrait faire sien un nouveau commandement: «Tu aimeras la Création comme toi-même».

Animée par M. Roch, qui n’a pas manqué de l’enrichir de ses remarques personnelles, la discussion a prouvé la réceptivité de l’assistance. Les chrétiens de gauche, qui ont toujours cherché à «donner un supplément d’âme» au socialisme, sont partants pour en faire autant à l’égard de l’écologie. Ils y sont d’ailleurs encouragés par l’encyclique Laudato si’ du pape François, plusieurs fois cité au cours de la journée. Comme l’a relevé M. Roch, le positivisme a abouti à une vision du monde, de l’humanité, de l’économie qui n’a plus besoin de Dieu. En choisissant Mamon comme référence, mais aussi en se contentant de chercher des solutions technologiques (catalyseurs, panneaux solaires, …), on oublie que c’est la juste place de tous les humains, de toutes les créatures, de la vie, qui est en jeu.

La religion de la consommation (qui a ses temples, ses hymnes, ses apôtres et ses fêtes (dont, ironie, Noël ! note du rédacteur) nous a menés à une addiction sévère, aux conséquences destructrices pour les individus comme pour la société. A traiter comme d’autres addictions: en suscitant l’envie de s’en sortir, en montrant que les efforts à faire apporteront des bienfaits et non des frustrations et en évitant les jugements ou les condamnations.

Le combat écologique est donc bel et bien spirituel, et pas seulement technique. Il est intégral puisqu’il vise à la protection de la nature et de tous les humains et à la sérénité de l’individu.

J.-F. Martin

Secrétaire des CGR

(paru dans l’Espoir du Monde, n° 166 – mars 2017)